Premier prix Jeunes 2014 : Melancholia Aeterna, de Sophie Braillard

Publié le par bourgeonsdeplumes

MELANCHOLIA AETERNA

 

De Sophie BRAILLARD

 

 

Texte classé 1er catégorie JEUNES 2014

 

 

 

Je ne peux pas dire combien de temps cela prendra, ni comment cela finira. La saison qui m’habite est faite ainsi : de tourmente et d’angoisse. Si enfin elle pouvait toucher à sa fin, quelle que soit la façon ; qu’importe que le trépas l’emporte sur la vie. Si cette douleur pouvait disparaître de quelque manière ; au son du glas s’il le faut. Ah ! si cette âme érodée par les tempêtes de mon cœur pouvait sortir de mon corps déchiré et mutilé par la dureté de ce monde sans vertu ; ce corps sombre et impénétrable, pareil à un sapin durant l’hiver, qui retient une âme fragile et dénudée par le vent automnal.

« Cessez pensées infâmes qui tourbillonnez en moi comme des feuilles d’automne ! Laissez-moi donc écouter les simples bruits de la nature. » m’écriai-je. En effet, le grondement d’un torrent gonflé par les pluies d’octobre s’élevait entre les parois de l’abîme, jusqu’à moi. Ce grand vide devant moi, je le sentais aussi en moi ; mon cœur battait au rythme d’un Requiem. L’archet court pour suivre la cadence et au loin on perçoit les gémissements des seconds violons. Puis un ténor entame une longue plainte qui résonne dans le néant, ensuite vient le tour d’une soprane à qui la partition arrache chaque note comme un supplice. Un silence, une pause ; l’orchestre tout entier reprend, crescendo, entre alors le chœur qui m’accompagne dans mes sombres réflexions.

*

Je traverse les grandes étendues vides, recouvertes d’une fine couche de neige fraîche, blanche, pure. Çà et là, des gonfles avaient été formées par l’ire d’Eole. Avec le givre, les arbres étaient devenus les spectres d’un été florissant, témoins de la grande saison des moissons et du soleil maintenant refroidi, comme des braises qui peu à peu se seraient éteintes. Je suis transie; un froid mordant m’envahit, mes os se glacent. Cependant, je continue d’avancer. Et toujours cette mélodie, qui dans ma tête se répète sans cesse ; les violons et les cuivres qui courent tout là-haut, la désolation d’une soprane et le désespoir d’un ténor qui me font vibrer par la sa puissance de leur voix ; le chœur tout entier qui tombe dans l’infamie, comme un peuple ravagé par une guerre vaine. Enfin, un violoncelle entame une longue lamentation qui me glace le cœur affligé par les ténèbres.

*

Je regarde cette nature si imposante, cette nature, pareille à une nymphe. La forêt est ma seul muse ; elle-même surpasse l’inspiration que m’apporte ma douleur. Des larmes tièdes roulent sur mes joues gelées. Ce sentiment est indescriptible : cette triste morosité accompagnée d’un soulagement, comme si soudain on retirait un fardeau de son dos. Ce sentiment de légèreté qui pourrait nous faire voler... Mais il nous manque des ailes. On plonge alors dans le profond gouffre du doute. Le rythme de cette longue chute effrénée est marqué par les tambours. La voix funeste d’une basse fait battre la chamade à mon cœur harassé. Ce soliste à lui seul fait chavirer mon âme si fragile. Encore trois notes, un point d’orgue et aussitôt, le chœur reprend cette même élégie, fortissimo.

*

Les giboulées ramènent le printemps. Déjà, des taches vertes apparaissent un peu partout dans ce désert blanc. Je sens au fond de moi, nonobstant la renaissance de la nature, que la fin est proche. Plus je vois la forêt reprendre vie, plus je sens l’ennui se répandre dans mon corps, jusqu’à s’emparer de mon esprit et de mon cœur. Tantôt les cuivres fanfaronnent, tantôt les cordes accablent les chanteurs.

*

Je m’arrête, m’immobilise complètement. Je ne fais plus aucun bruit. J’écoute la brise dans les arbres ; elle fait frémir les dernières feuilles sèches qui n’étaient pas tombées à l’automne. Ce murmure que je connais par cœur, c’est la flûte, calme et paisible et ce frémissement qui emplit mon cœur, un violon qui la rejoint. Je suis saisie par ce souffle qui glisse sur mon visage, je le laisse imprégner tout mon corps jusqu’à devenir moi-même courant d’air.

La pluie commence soudainement à tomber et le vent devient subitement plus violent : la tempête se lève. Les violons se déchainent, les cuivres prennent de plus en plus d’ampleur. Je ressens en moi cette musique si vive et si présente qui d’un coup s’estompe. Je cours pour la rattraper, elle m’entraine loin ; je la poursuis au-delà des collines de pins, jusqu’au ravin. Les ronces déchirent la peau de mes jambes nues mais j’accélère. J’arrive au bord du gouffre. J’entends mon interminable thrène résonner au fond de l’abîme ainsi que la vague rumeur passée du torrent. Mon esprit jusqu’alors empreint au doute me force à continuer. Je suis alors mon destin qui n’est autre que ce Requiem.

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